JINKA

Mai 1994 à Décembre 2002

Jinka, l’appel sauvage

Jinka fut mon troisième loup.
Je l’ai rencontrée lors d’une course dans le Nord de la France.
Husky, oui mais pas comme les autres.
Sa robe exceptionnelle, un « pinto inversé », m’a foudroyé.
Un éclat unique dans la meute anonyme des chiots de quatre mois. Un coup de foudre.

Les copains mushers l’avaient surnommée « la vache » à cause de sa robe tachetée.
Je me revois encore, la hissant dans la voiture. Elle tremblait de stress, petite boule d’angoisse.
Mais dès notre retour, elle fit la connaissance de FÉLINE et d’INOOK.
Docile, dominée, tranquille, joueuse… Elle s’intégra doucement.

Mais c’est après la mort de FÉLINE que son vrai caractère émergea.
Un jour, par inadvertance, elle se glissa entre mes jambes et franchit le portail.
Je l’appelai aussitôt :  « Jinka, stay ! » À ma grande surprise, elle s’arrêta net.
Obéissante. Présente. J’ai répété cet exercice de rappel souvent.
Et chaque fois, elle répondait sans hésiter.
Jinka écoutait au doigt et à l’œil.

Elle prit alors la place de FÉLINE, naturellement, sans heurt.
À la maison, dans la meute : INOOK, LOUPIOTTE, KUMIAK, JESSIE…
À l’attelage, rien à redire. Elle ne courait ni trop, ni trop peu. Juste à son rythme.
Toujours à sa place, jamais de méli-mélo.
Un mental d’acier.

Mais il fallait l’atteler vite elle hurlait d’impatience, aboyait comme une possédée.
Plus tard, elle eut une fille : Loupiotte. Mère et fille formaient un duo inséparable, en parfaite symbiose.
Je passais des heures à les observer : jeux complices, tendresse muette, regards échangés.
Les voir, c’était un cadeau. Une richesse. Une leçon de vie.

Jinka était le seul chien avec qui je partageais cette liberté totale, rare chez les nordiques.
Ce n’est pas moi qui ai décidé c’est elle qui m’a montré qu’elle pouvait être libre, et rester près de moi.
Alors on a marché ensemble… En montagne, sur la plage, le long des lacs, en forêt, même en ville.
Un binôme soudé par une confiance muette.

Dans la vie d’un musher, avoir un nordique en liberté, c’est un miracle.
Mais on oublie trop vite l’instinct. Un soir de décembre, dans un brouillard épais,
j’ouvris le portail pour les faire rentrer. Mais ce soir-là, le gibier foisonnait.
Jinka bondit, Loupiotte, naturellement, suivit.
Elles quittèrent le sentier, atteignirent la route…Un camion les percuta violemment.

Jinka fut euthanasiée. Son dernier regard me transperce encore.
Loupiotte, elle, a survécu. Mais elle cherche encore sa mère. Et moi, je cherche encore ce lien.
Cette lumière. On a beau avoir plusieurs chiens, ils sont tous uniques.
Chacun a sa manière de jouer, de courir, de poser une tête contre toi, de te regarder.

Ce jour-là, j’ai compris. L’appel de la forêt, le will to go, ce feu ancien…
C’est plus fort que l’amour, plus fort que nous.
Le chien est libre. S’il reste, c’est qu’il a choisi.
Mais il peut partir. Sans prévenir.

On ne peut pas le contrôler toute une vie.
On peut juste tenter de le protéger.
Parce qu’il vit dans notre monde il s’adapte.
Mais parfois, le drame surgit.

Pour moi, plus jamais je ne laisserai un nordique en totale liberté.
Le prix est trop rude. Je revois encore Jinka courir,
sur une patte avant, une patte arrière…
Les deux autres, brisées en mille éclats.
Un cauchemar effaçant des années de confiance et de balades partagées.

Oui, le prix est rude ! Ne l’oubliez jamais.
Vous ne maîtrisez rien.
C’est le chien qui décide. Toujours.

Alors cours, ma JiJi…
Cours au-delà des cimes, sur les nuages de neige et de vent.
Je ne t’oublierai jamais,
ma fidèle et douce louloutte.