

Mars 1998 à 2003
Mogwai – mon dernier loup
Mogwai… mon onzième… mon dernier loup — me suis-je dit.
Avec lui, j’ai pris une décision déchirante : celle de ne pas renouveler la meute.
Un choix lourd, pesant, presque contre nature pour une passionnée comme moi, qui vis mes rêves avec la rage d’y croire jusqu’au bout.
Mais Mogwai… Mogwai n’était pas un chien comme les autres. Il était une promesse minuscule, fragile, arrachée à l’injustice des probabilités.
Il était le frère de Nanook, et dès le deuxième jour, j’ai su que son parcours ne ressemblerait à aucun autre. Il ne parvenait plus à s’alimenter perdait du poids à vue d’œil, se déshydratait…Il fallait agir, et vite. Je me souviens être allée en boulangerie chercher un de ces biberons miniatures, ceux qui contiennent des bonbons pour enfants.Je l’ai percé d’un minuscule trou, assez pour lui donner du lait artificiel goutte après goutte.À côté, Jessie sa maman si douce faisait ce qu’elle pouvait, léchait, réchauffait, veillait.Mais la survie tenait à un fil. Mogwai tenait dans ma main, littéralement. Il grossissait à peine.Pendant que ses frères et sœurs devenaient de petits ours vigoureux, lui restait miniature frêle, si petit qu’à un mois à peine, il pesait à peine cinq cents grammes.
Un soir, j’ai tenté la bouillie. Le lait seul ne suffisait plus.
Et là, j’ai cru le perdre. Tout ressortait par son petit museau, son ventre faisait des bruits inquiétants.
Il n’était pas plus grand qu’une tasse de chocolat…Et pourtant, une fois de plus, il a survécu.
Petit miracle du quotidien, Mogwai s’accrochait.
Les jours passaient. Il prenait un peu de poids, lentement.
À quatre mois, il tenait encore dans ma chaussure. Du jamais vu.
Alors on l’a appelé Mogwai, comme dans les Gremlins. Il ne ressemblait ni à un chien, ni à un chat, ni même à un rat…
C’était juste un petit être, vaguement poilu, d’un autre monde.
Il a fallu attendre huit mois pour que ses oreilles soient assez grandes pour le tatouer.
Et puis soudain, à sept mois, il a poussé comme une flèche, comme s’il rattrapait le temps.
Il est devenu un magnifique petit mâle, à la robe de loup, au regard intense unique.
Je me souviens des propos des mushers autour de moi : Faut pas le garder, il est pas viable. Il a une tare.
À deux mois ! Mais quelle erreur ! Jessie l’aimait, je l’aimais et à nous deux, on l’a sauvé.
Sa force de caractère, sa rage de vivre, sa hargne à ne jamais se laisser dominer…
Mogwai était un battant, un trésor, mon petit miracle.
Il était très proche de Jessie, sa mère, et de Nanook, son frère au gabarit d’ours, qui l’a toujours protégé.
Il aimait aussi beaucoup Jinka… qu’il ne cessait de draguer avec ses airs de coquin.
Un vrai speed, un foufou, qui sautait partout. Mon bébé… mon Mogwai…
Il m’est difficile de mettre des mots sur ce que je ressentais pour lui sur ce qu’il a fait vibrer en moi. Un amour profond, viscéral.
Décembre 2001, la mort de Jinka nous a laissés vides, effondrés.
Nous tentions de sauver Loupiotte… Et puis, sans prévenir, Mogwai nous a trahis par son propre corps.
Occlusion intestinale. Un petit bout de ficelle mâchonné, un jouet chinois acheté sans méfiance, comme tant d’autres. Une horreur.
Il a été opéré quatre ouvertures pour essayer de réparer les dégâts. Sept jours sous perfusion.
Je faisais la route jusqu’à Colmar tous les deux jours, pour le voir, le caresser, lui murmurer que j’étais là.
Un mercredi, il était faible. Je me revois, marchant avec lui, tenant son sac de perfusion.
Il m’a léché trois fois, doucement, avec ce qu’il lui restait de force. J’ai eu tant de mal à repartir ce jour-là.
Je savais… Et cette nuit, je n’ai pas dormi. Le lendemain matin, le téléphone sonne.
C’est le vétérinaire.
» Mogwai est mort « . ! Un silence. Je raccroche et je tombe.au sol.
Je vomis. Je hurle. Je pleure. Je suis vide. Je me brise. J’ai pris Loupiotte, nous sommes allés en forêt.
À genoux dans la neige, j’ai hurlé tout ce chagrin trop lourd, trop injuste. Trois chiens en un mois…C’est inhumain. Le soir venu, à l’heure des gamelles, il manque une petite tête grise, langue tordue, qui bondissait comme un ressort. Le jour, avec Loupiotte orpheline, il manque cette tête blanche contre moi, ce regard vif et ce cœur fragile qu’était Jinka sans parler d’inook . Pas un jour ne passe sans que je pense à eux mes chiens, mes doudous, mes compagnons de vie, de mushing, de solitude, de rêve.
Mais la vie est ainsi, Rien n’est acquis, Rien n’est éternel on le sait tous ! .
C’est pourquoi je profite aujourd’hui de chaque instant avec ceux qui restent.
Et c’est aussi pourquoi je sais que j’ai été au bout de cette passion avec eux, pour eux.
C’est avec eux que j’ai vécu ce sport, ce loisir, cette aventure humaine.
Et c’est à travers eux que je refermerai le livre… Un jour je le sais j’écrirais pour eux , je parlerais d’eux .
Toi ma petite crevette , Ma mouette , mon mogwai adoré , vagabond des nuages enneigés .
Cours petit bonhomme cours au-delà des cimes de mon coeur .

